jeudi 15 juin 2017

Vivre chaque instant comme si c'était le dernier.

Sur la langue goûter son amertume, son miel ou son piquant.
Saisir au vol sa rumeur, tissée de mille petits chants.
Éprouver dans la main le poids de sa réalité, enclume ou papillon.
Du regard caresser ses promesses, aimer jusqu'à sa trahison.
Humer enfin son parfum d'aube et de mort mêlées,
de fleurs et de poussière, sucré et chiffonné.

Vivre chaque instant comme si c'était le dernier.
Y survivre, néanmoins.

Ou pas.

Les souvenirs qu'on ne peut plus partager sont des étoiles éteintes.
On sait qu'ils étaient là,
ils peuvent même briller encore un peu au firmament de la mémoire,
mais en réalité ils ont cessé d'émettre,
échos solitaires et lointains d'une lumière morte.

jeudi 9 février 2017

Deux tours, et puis plus rien.
Eh oui, quinze ans déjà.
Griffure au creux du ventre,
Ça ne me quitte pas.

Bien sûr, d'autres carnages...
Et ce n'est pas fini.
En matière de massacre
L'homme a bien du génie.

Mais dans la poussière grise
De ces tours foudroyées,
L'on pouvait donc mourir
En allant travailler ?

Dorénavant on sait
Qu'on peut mourir aussi
Parce qu'au bal danser
Un soir on est allé.

Entre amis, au café,
En faisant son marché,
Les yeux dans les étoiles
Un quatorze juillet.

Nous l'avions tous chanté
Avant de l'oublier,
Adèle, ceinture dorée,
Le pont s'est écroulé.

Innocence, légèreté
Sont des mots condamnés.
La page est arrachée.
Alphabet mutilé.

A l'ombre des deux tours
Un nouveau monde est né.
Plus de quinze ans déjà.
C'est parti pour durer.

mardi 7 février 2017

Ceux qui ont faim
Ceux qui ont froid
Ceux qui tanguent d'un trottoir à l'autre
Et ceux qui ont jeté l'ancre sur un bout de carton

Ceux qui attendent
Ceux qui espèrent
Ceux qui n'osent pas
Et ceux qui ont oublié pourquoi

Ceux qui ont tout leur temps
Ceux que personne n'attend
Ceux qui n'ont plus à faire semblant
Et ceux qui en un an ont pris près de cent ans

Ceux qui vitrinent
Ceux qui paillassonnent
Ceux qu'on met dehors
Et ceux qui n'entrent pas

Ceux qui renoncent
Ceux qui ont honte
Ceux qui baissent les yeux
Et ceux qu'on ne voit pas

Ceux qui Restos du cœur
Ceux qui Emmaüs
Ceux qui Samu social
Et ceux qui n'ont plus pour horizon
que la pièce qu'on leur tend parfois
pour s'acheter une conscience
ou bien sans y penser
en passant vite, pressé,
et qu'on oublie
sitôt le coin de rue tourné.

samedi 4 février 2017

Il y a en sous-sol à Montparnasse un trottoir roulant de 186 mètres qui permet de se rendre de la gare au métro ou vice-versa à la vitesse de 0,8 mètres/seconde. Une fois engagé sur ce tapis, il n'est plus possible d'en descendre, sauf à remonter le flot de la foule qui s'y est engouffrée avec vous - bousculade et insultes garanties.
Vous voici donc contraint d'aller jusqu'au bout en vous laissant véhiculer comme une valise à la sortie de l'avion, la seule alternative consistant à vous glisser dans la file rapide des marcheurs, située sur la gauche dudit tapis.
Mais d'échappatoire, point.
Tout cela pour éviter d'avoir à traverser l'esplanade en surface, venteuse et glaciale en hiver, écrasée de chaleur en été. Avantage néanmoins de cet itinéraire bis, vous retrouvez votre totale liberté de mouvement : vous pouvez tracer des boucles, avancer en diagonale, revenir sur vos pas, repartir en tirant des bords carrés, ronds, obliques, et même, comble du luxe, vous asseoir par terre et ne plus bouger, en regardant passer les autres...
Y a-t-il aussi un itinéraire bis au trottoir roulant de la vie ?

jeudi 2 février 2017

J'aurais voulu pouvoir me réfugier sous l'aile de ma grand-mère. Me blottir contre elle, comme autrefois, lorsqu'un cauchemar me jetait dans son lit au milieu de la nuit.
Elle ne m'aurait pas protégée du chagrin, non. Nous l'aurions juste partagé.

Mais elle n'était pas au rendez-vous.

Et je suis restée seule, les bras vides, avec au cœur mon besoin d'elle, elle qui n'était pas là, elle qui ne viendrait pas.

Il a fallu que sa fille s'en aille aussi pour qu'avec quinze ans de retard je réalise qu'elle était vraiment partie.

L'urne est là, devant moi, sur la table blonde inondée de soleil.
Courbes rondes, vert foncé.
Une petite plaque dorée posée de travers,
et des lettres gravées qui n'ont aucun sens.
Froide sous ma main.
Définitive.
Bientôt je la perdrai aussi,
mais pour le moment elle est là, dense et rassurante.
Tu as bien dû exister, puisqu'elle est là.

lundi 23 janvier 2017

J'avais le choix aujourd'hui entre Bernanos et Baudelaire. Un grand cimetière sous la pluie (désolée, Georges, pour le détournement) ou Spleen de Paris.
J'ai renoncé à la pluie. C'était une bonne idée, puisque voici le soleil.
J'ai gardé Paris. 
Versailles, plutôt.

Il y a un an, il te restait si peu à vivre.
J'étais dans ce train de banlieue qui traverse mon existence, Saint-Cloud, Suresnes Val d'Or, Sèvres... C'est étrange quand on y pense cette ligne de vie ferrée.

Sais-tu qu'il va et vient toujours dans ma mémoire, ce train qui m'emportait une fois de plus vers toi ? 
Une fois encore, ma petite île de désarroi dans le flot de l'indifférence et de la grisaille. La dernière, je le savais. J'avais pris avec moi de quoi tenir un siège. Quelques heures ou quelques jours, selon le temps que tu mettrais à mourir.
Ce fut quelques minutes.
Ensuite, ma foi...
Mais ces quelques minutes.

Et ce train, qui roule, qui continue à rouler, dans un sens, puis dans l'autre, tandis qu'assise derrière la vitre sale je regarde défiler les gares maussades et désolées.
Jusqu'au bout du quai, au bout de la voie, au bout de ta vie.
Jusque dans la blancheur de ce silence où tu nous as à jamais enfermées

jeudi 19 janvier 2017

Les morts en nous quittant
Emportent avec eux
Des mots
Qu'à haute voix jamais
Nous ne pourrons plus dire.

Et c'est le mot Mamie, et c'est le mot Maman,
Qui désertent d'un coup
Notre vocabulaire.
Nous voici orphelins du mot et de la chose,
Dans un silence intime cadenassé par l'absence.

Le compte à rebours est lancé.
Il ne manque plus que quelques jours au présent
Pour achever la boucle du passé.

L'hôpital, en attendant,
N'en finit pas d'exister,
Et la tristesse de chaque instant,
Comme si rien ne s'était effacé,
Les heures aux heures s'ajoutant,
Les retours dans la nuit glacée,
La fuite irréelle du temps
Devant ce lit blanc froissé.

Il y aura bientôt plus d'un an,
Et je suis toujours là, arrêtée,
Sur les mots qu'elle n'a pas prononcés.
 

jeudi 12 janvier 2017

L'écume de son départ
Sur la plage de ma mémoire
Laisse en se retirant
Quelques coquillages brisés
Et un peu de bois flotté.