samedi 17 décembre 2016

Il y a tout juste un an, un livreur s'est présenté à la porte de la petite maison aux volets verts. Sur le carrelage de la cuisine déjà bien encombrée il a déposé les sacs dont il était chargé.

Elle a refermé la porte et est retournée s'asseoir dans son fauteuil, laissant les sacs où ils étaient.

Le temps a passé, elle n'y a pas touché.

Ils étaient toujours là, sentinelles immobiles, lorsque je suis entrée.

mardi 29 novembre 2016

Une île ourlée d'écume
La mer enchevêtrée
Et le miroir des jours
Sirène abandonnée
S'y flétrit en silence
Libérant dans un souffle
Le temps qui s'évanouit
Aussitôt

jeudi 17 novembre 2016

Creux, trou, vide, abîme
Les jours s'écoulent et je m'écroule

vendredi 11 novembre 2016

Une petite vie tissée de nos petits désespoirs.
Et au bout du bout, rien.

vendredi 4 novembre 2016


Par ici Messieurs-dames, suivez le guide !
Tout le monde a pu entrer ? Avancez davantage Madame s’il vous plaît... Que ces Messieurs puissent nous rejoindre... Voilà, serrez-vous un petit peu... très bien.

Comme vous pouvez le constater, vous êtes ici dans un ouvrage du XX° siècle, tout à fait typique de son époque. Vous remarquerez en effet à cet endroit... Non non Monsieur, là, juste devant vous, oui, c’est cela... Vous remarquerez donc à cet endroit la fameuse couverture souple qui prend naissance en Occident après la seconde Guerre Mondiale, et qui devient très vite la règle pour les ouvrages de ce format.
Couverture souple donc, mais sans la moindre illustration, contrairement à ce qui se développe au même moment dans les collections plus populaires... Oui Madame ?... Tout à fait, notamment dans ce qu’on a appelé les romans de gare pour la bonne et simple raison qu’ils se vendaient à la gare en prévision des voyages en train.

Interminables à l'époque, vous avez raison Monsieur.

Ici, comme vous l’avez peut-être déjà noté, nous sommes clairement en présence d’une architecture éditoriale plus évoluée, qui aspire à un certain sérieux, une certaine reconnaissance. Un simple liseré rouge décore cette couverture, où figurent très simplement, très lisiblement, le nom de l’auteur, celui de l’éditeur, et le titre du volume. Vous observerez aussi la couleur de l’ensemble, d’un beige un peu soutenu, qui reflète bien l’austérité du style auquel s’attache cet éditeur.

Nous allons maintenant enjamber quelques pages, où figurent les mentions légales en vigueur dans ce milieu et à cette époque, pour parvenir directement au début du premier chapitre.
A présent Mesdames et Messieurs, je vais vous demander d’être particulièrement attentifs, car ici commence véritablement notre visite. Celle-ci durera entre 2 et 3 heures selon notre rythme de progression. Mais nous pourrons faire des pauses si vous le souhaitez.
Suivez-moi bien s’il vous plaît, nous entrons tout de suite dans le roman. Surtout déplacez-vous en silence et ne touchez à rien, afin de ne pas déranger les personnages ni interférer dans l’histoire.


vendredi 21 octobre 2016

Un oiseau de proie. Aux ailes puissantes, au vol large, lent.
Du coin de l’œil elle l'observa, tandis qu'elle négociait sans y prêter attention le virage qui sinuait sous la voie de chemin de fer. Comme plusieurs fois par semaine, chaque semaine, depuis si longtemps.
L'oiseau planait, suspendu, immobile, à la verticale du champ qu'elle longeait, loin au-dessus de sa petite vie, de ses petits soucis, du petit retard qu'elle allait avoir si elle s'arrêtait pour le regarder.
Elle se gara, en vrac sur le bord de la route. Coupa le contact. Sauta à bas de sa voiture et claqua la portière. Puis elle s'engagea dans le champ labouré depuis peu, s'enfonçant dans les mottes de terre grasse jusqu'à la cheville avec le sentiment de vivre une aventure interdite, presque dangereuse.
Qu'est-ce que c'était que cette existence stupide, étriquée, où le simple fait de marcher dans la boue en salissant ses chaussures lui faisait battre le cœur ?

mercredi 12 octobre 2016

Je suis archiviste, et je cherche une raison d'être.
Dans le sous-sol poussiéreux qui me sert de tanière, où nul ne vient jamais, dont le chemin même ne figure plus sur aucun plan, je passe mes journées à lire, trier, consigner, classer, ranger. Des centaines, des milliers de dossiers, certains riches d'une seule feuille dactylographiée datant de quelques semaines à peine, d'autres épais comme la misère du monde, qui dorment sur ces étagères depuis des décennies.
Je lis, je trie, je note, je classe, je range. Je réfléchis. Je retiens. Je compare. J'établis des corrélations, des chronologies. Je construis.
Puis je doute. Alors je recommence.
Je suis archiviste et je poursuis les monstres et les fantômes, les croquemitaines et les sorcières. Le bric-à-brac enfoui dans le silence des siècles, les braises rougeoyantes des bûchers de la haine, la sueur glacée de la terreur, l'odeur métallique du sang si souvent répandu, toute cette violence ordinaire que le temps recouvre d'un voile d'indifférence.
Je cherche l'indicible, je cherche entre les lignes, je cherche le sens caché des mots couchés sur le papier. J'use mes yeux sur l'infiniment petit, mon dos sur l'infiniment bas. Mes ongles écorchent l'écorce de la vie, la poussière des morts macule mes doigts noircis par l'encre usée.
Je suis archiviste, et je cherche l'espoir.

mercredi 28 septembre 2016

"Paradis artificiels. C'est un pléonasme."
Louis Aragon, Traité du style, p.93, L'Imaginaire Gallimard n°59

lundi 8 août 2016

Marée basse, vague grise,
De gros nuages se bousculent en filant vers le large.
Au creux des rochers noirs couverts de goémon,
Des petites cuvettes d'un vert translucide.
L'eau y tiédit lentement, avec elle tout un monde en suspens.
Des crevettes grises qui tentent d'échapper à l'épuisette,
Un crabe qui se sauve de toutes ses pattes en filant de travers dans les algues,
Un autre qui s'enfonce dans le sable dont il a la couleur en soulevant un petit nuage,
Et des coquillages vides qui perdront leur éclat en séchant.
Au loin, des enfants, en bottes et ciré jaune, jouent à courir dans l'écume.
Les goélands planent, immobiles et bavards, dans le vent.
Et l'odeur, cette odeur d'iode, de sel, si forte que même le temps ne la dissout pas.

Quand Bretagne me revient en mémoire, c'est elle qui me saute au visage, avant le vent, le cri des oiseaux de mer, la caresse gluante du goémon, avant le granit grignoté par la mousse sur la lande et sur la croix des enclos paroissiaux, avant le chant du bagad et la dentelle de la crêpe au beurre salé.

vendredi 5 août 2016

Premier été sans elle
Il n'y aura pas de lettre

La fenêtre ouverte sur la nuit
Laisse entrer le bruit de la vie
Tandis que le silence
Grignote mon enfance

Premier été sans elle
Il n'y aura pas de lettre
 
Café noir
Café lait
Café nuit
Café jour
Café fort
Ou léger
Mais café
Avant tout

Au comptoir
En hiver
En terrasse
A l'été
Café vide
Café plein
Mais café
Avant tout

jeudi 3 mars 2016

La représentation est terminée, les décors sont rangés, les comédiens partis. La scène reste vide, plongée dans l'ombre du silence.
Il faut bien, à la fin, enfiler son manteau, s'en retourner chez soi.
L'on sait déjà pourtant que ce n'est pas si simple, que le temps de la pièce est un temps hors du temps, qu'on n'en sort pas indemne, que l'oubli sera lent.
L'on sait aussi que rien ne peut être changé. Que faute de personnages elle ne sera plus jouée.
Alors on remet son manteau et l'on rentre chez soi, avec au fond des poches le sable du chagrin.

lundi 29 février 2016

Le tourbillon des jours et des nuits. Le soleil qui étonne, la pluie qui frappe aux carreaux d'une fenêtre qu'on n'avait pas remarquée.

Le téléphone qui sonne. N'importe quand. N'importe où. Des voix différentes, un même discours. Ou presque.

Les trains. Les bus. Dans un sens. Puis dans l'autre.

Les couloirs tant de fois parcourus. Pour aboutir dans la même pièce du bout du monde.

Le blanc des murs carrelés. Celui des draps, des blouses. Le rose aussi. Le vert. Le bleu. Code inconnu, on ne sait jamais bien à qui l'on s'adresse.

Les mots qui blessent, ceux qu'on devine, ceux qu'on n'est pas sûr de comprendre, ceux qu'on entend, et ceux qu'on n'entend pas, ceux qu'on voudrait ne jamais avoir à dire.

Ceux qu'on attend, et qui ne viendront pas.

Ceux qui restent coincés là, dans le gris du chagrin.

La mécanique du temps s'écoule, les heures irréelles se succèdent, indifférenciées. Une parenthèse entre deux vies où s'alanguit la mort.