vendredi 21 octobre 2016

Un oiseau de proie. Aux ailes puissantes, au vol large, lent.
Du coin de l’œil elle l'observa, tandis qu'elle négociait sans y prêter attention le virage qui sinuait sous la voie de chemin de fer. Comme plusieurs fois par semaine, chaque semaine, depuis si longtemps.
L'oiseau planait, suspendu, immobile, à la verticale du champ qu'elle longeait, loin au-dessus de sa petite vie, de ses petits soucis, du petit retard qu'elle allait avoir si elle s'arrêtait pour le regarder.
Elle se gara, en vrac sur le bord de la route. Coupa le contact. Sauta à bas de sa voiture et claqua la portière. Puis elle s'engagea dans le champ labouré depuis peu, s'enfonçant dans les mottes de terre grasse jusqu'à la cheville avec le sentiment de vivre une aventure interdite, presque dangereuse.
Qu'est-ce que c'était que cette existence stupide, étriquée, où le simple fait de marcher dans la boue en salissant ses chaussures lui faisait battre le cœur ?

mercredi 12 octobre 2016

Je suis archiviste, et je cherche une raison d'être.
Dans le sous-sol poussiéreux qui me sert de tanière, où nul ne vient jamais, dont le chemin même ne figure plus sur aucun plan, je passe mes journées à lire, trier, consigner, classer, ranger. Des centaines, des milliers de dossiers, certains riches d'une seule feuille dactylographiée datant de quelques semaines à peine, d'autres épais comme la misère du monde, qui dorment sur ces étagères depuis des décennies.
Je lis, je trie, je note, je classe, je range. Je réfléchis. Je retiens. Je compare. J'établis des corrélations, des chronologies. Je construis.
Puis je doute. Alors je recommence.
Je suis archiviste et je poursuis les monstres et les fantômes, les croquemitaines et les sorcières. Le bric-à-brac enfoui dans le silence des siècles, les braises rougeoyantes des bûchers de la haine, la sueur glacée de la terreur, l'odeur métallique du sang si souvent répandu, toute cette violence ordinaire que le temps recouvre d'un voile d'indifférence.
Je cherche l'indicible, je cherche entre les lignes, je cherche le sens caché des mots couchés sur le papier. J'use mes yeux sur l'infiniment petit, mon dos sur l'infiniment bas. Mes ongles écorchent l'écorce de la vie, la poussière des morts macule mes doigts noircis par l'encre usée.
Je suis archiviste, et je cherche l'espoir.